avril 25, 2024

LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS

REVUE DE PHILOSOPHIE DE LA PAIX

LA SCLÉROSE EN PLAQUES ET LES TRAITEMENTS À BASE DE CANNABINOÏDES.

 

Dr. Olivier PONS,  OMD, NMD, PhD

Il n’y a pas deux cas de sclérose en plaques (SP) qui se ressemblent : l’évolution de la maladie, les symptômes et les expériences de ceux et celles qui vivent avec la SP varient d’une personne à l’autre. Par conséquent, deux personnes n’auront pas nécessairement besoin ou envie d’essayer les mêmes traitements.

À l’occasion de la Journée Mondiale de la sclérose en plaques (le 30 mai), nous explorons les informations les plus récentes sur la sclérose en plaques et les traitements à base de cannabinoïdes.

En tant que cliniciens et chercheurs, nous partageons les éléments importants à retenir pour les professionnels de la santé, la littérature la plus récente sur la SP et les traitements à base de cannabinoïdes, des informations provenant de nos cliniques et le point de vue de l’une de nos défenseurs des droits des patients.

 QU’EST-CE QUE LA SCLÉROSE EN PLAQUES (SP) ?

La sclérose en plaques est une maladie auto-immune et neurodégénérative qui affecte la moelle épinière et le cerveau, amenant divers symptômes en fonction de la partie du système nerveux central qui est affectée. Une maladie auto-immune est une maladie dans laquelle le système immunitaire attaque des parties saines du corps.

Dans la SP, les cellules impliquées dans la neuro-inflammation prennent la myéline (la barrière protectrice autour des neurones) pour un antigène étranger et l’attaquent à répétition. La gaine de myéline peut être réparée, mais elle garde des cicatrices. C’est donc l’accumulation de cicatrices dans de multiples zones qui provoque un large éventail de symptômes.

Les symptômes les plus fréquents sont la spasticité, la douleur, les tremblements, l’altération de l’équilibre et de la coordination, la difficulté à marcher, la fatigue, la dépression, les dysfonctionnements intestinaux et de la vessie, les troubles cognitifs et les troubles sensoriels. Il n’y a pas deux cas identiques, et des personnes différentes expérimenteront des symptômes différents à différentes intensités.

La sclérose en plaques est divisée en quatre -sous-types en fonction de l’évolution de la maladie, notamment de la fréquence des poussées (attaques) : le syndrome clinique isolé (SCI), la forme cyclique (poussées-rémissions) (SPRR), la forme progressive secondaire (SPPS) et la forme progressive primaire (SPPP).

La sclérose en plaques est l’une des maladies neurologiques les plus communes, touchant 2,8 millions de personnes dans le monde. La sclérose en plaques peut se manifester à tout âge, mais est généralement diagnostiquée chez les personnes âgées de 20 à 49 ans. Elle est plus fréquemment observée chez les femmes que chez les hommes.

Le Canada a l’un des taux les plus élevés de sclérose en plaques avec une prévalence estimée à 250 pour 100 000 habitants

9 ÉLÉMENTS À RETENIR POUR LES PRATICIENS.

1° le cannabis médical ne doit être envisagé qu’après l’échec des traitements de première intention. Après avoir essayé d’autres traitements, vous pouvez envisager de discuter des traitements à base de cannabinoïdes avec votre patient.

2° Il existe des preuves scientifiques concluantes qui soutiennent l’utilisation du cannabis médical pour la spasticité liée à la SP (GW pharma Ltd 2012.

3°Le delta-9-Tétrahydrocannabinol (THC) est le cannabinoïde identifié dans les études comme étant bénéfique pour la spasticité chez les patients atteints de SP. En clinique, nous constatons généralement que le THC peut aider à soulager la spasticité et les douleurs liées à la SP. De plus, le cannabidiol (CBD) peut aider certains patients souffrant de spasticité ou de douleur. Le CBD a l’avantage de ne pas avoir beaucoup d’effets indésirables et ne produit pas l’effet indésirable d’euphorie, qui est typiquement associé au cannabis.

4° Le THC a plus d’effets indésirables que le CBD, notamment l’euphorie et la sensation d’être « gelé ». Cependant, il est possible de prendre du THC médicalement sans avoir d’effets indésirables ou sans se sentir « gelé » : la clé est de commencer à de très faibles doses et d’augmenter très lentement la dose.

5°Les plans de traitement pour les différents symptômes liés à la SP sont décrits dans le programme éducation thérapeutique.

6°En raison de la très faible quantité de récepteurs cannabinoïdes dans la moelle épinière, il est impossible de mourir d’une overdose de cannabis (organisation mondiale de la santé) Toutefois, des accidents peuvent être associés à des facultés affaiblies par les effets secondaires du cannabis.

7°Le cannabis a des contre-indications comme beaucoup d’autres médicaments ; il est important de connaître les contre-indications et d’évaluer les patients avant d’initier un traitement à base de cannabinoïdes.

8° Les capsules sont des huiles concentrées placées dans une capsule à des doses spécifiques et peuvent remplacer l’huile de cannabis pour une méthode d’administration par ingestion (action prolongée). Cela peut en faire une méthode d’administration privilégiée pour certains patients.

9°Les patients avec la sclérose en plaques ont souvent des problèmes de sommeil ; le cannabis au coucher peut aider à dormir sans se soucier autant des conséquences des effets indésirables (Zaiicek et al 2003 ; Schabas et al 2019)

LES TRAITEMENTS DISPONIBLES EN CE MOMENT

Il n’existe actuellement aucun médicament pour guérir la SP, mais plusieurs traitements pharmaceutiques existent pour contrôler l’inflammation, gérer les poussées et les symptômes concomitants de la SP. Les médicaments modificateurs de l’évolution de la SP, comme leur nom l’indique, ont un impact sur l’évolution de la maladie ; ils sont généralement efficaces pour la SP cyclique et, en traitement précoce, peuvent être utiles pour prévenir l’invalidité à long terme. Les thérapies symptomatiques sont utilisées pour soulager des symptômes précis, notamment la douleur neuropathique, qui peut être contrôlée par des antidépresseurs, des antiépileptiques et des opioïdes, et la spasticité, qui peut être traitée par des relaxants musculaires.

Des recommandations générales relatives au mode de vie, telles que l’exercice et une alimentation équilibrée, peuvent également être bénéfiques aux patients.

 LES TRAITEMENTS À BASE DE CANNABINOÏDES DANS LA SP 

La recherche sur la SP et les cannabinoïdes a débuté il y a plus de quinze ans avec un vaste essai contrôlé avec placebo et randomisé sur 630 patients avec la sclérose en plaques stable et avec spasticité musculaire (zajicek et al .2003 ,2005 ,2016). Les patients recevaient de façon aléatoire soit le placebo, un extrait oral de cannabis (THC : CBD), ou du delta-9-THC, en commençant par une dose quotidienne de 5 mg jusqu’à une dose maximale de 25 mg/jour de médicament actif pour une durée totale de 15 semaines.

L’objectif de l’étude était de vérifier l’efficacité de l’extrait de cannabis ou du delta-9-THC pour le traitement de la spasticité et d’autres symptômes de la SP. Les résultats ont indiqué une réduction de la spasticité auto-rapportée par les patients. Un résultat secondaire inattendu était une réduction des admissions à l’hôpital pour des poussées, tant dans le groupe prenant l’extrait de cannabis que dans celui avec delta-9-THC. Les auteurs ont mentionné que les patients de l’essai avaient une SP à progression lente ; étant donné qu’il existe des récepteurs cannabinoïdes sur les cellules du système immunitaire, la réduction du taux de poussées dans une telle affection auto-immune est un résultat qui bénéficierait d’être étudié de façon plus approfondie.

 SPASTICITÉ, DOULEUR, DYSFONCTIONNEMENT DE LA VESSIE

Depuis, l’efficacité potentielle des traitements à base de cannabinoïdes a été étudiée principalement pour les symptômes de spasticité, de douleur et de dysfonctionnement de la vessie (lisez plus sur la spasticité de la SP et les traitements à base de cannabinoïdes Il a été démontré que les cannabinoïdes et le système endocannabinoïde jouent un rôle dans la réduction de la spasticité dans des modèles animaux (chiurchiu et al.2018 ; Baker et al 2001 ; Nielsen et al 2018 ; Zettl et al.2016). Le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) semble être efficace pour réduire la spasticité dans des modèles animaux et chez l’humain (Nielsen et al.2018)

 REVUES SYSTÉMATIQUES

 Des revues systématiques récents fournissent des détails :

Nielsen et AL 2019 ont examiné 27 études et se sont penchés sur la spasticité chez des patients adultes atteints de diverses pathologies, dont la sclérose en plaques (21 études).

Les études analysées ont examiné l’effet du THC, du CBD, des formulations THC:CBD, des cannabinoïdes synthétiques dronabinol et nabilone, du cannabis inhalé (fumé) et des extraits cannabinoïdes oraux.

Les résultats étaient contradictoires entre les études identifiées dans la revue, beaucoup d’entre elles rapportant des effets positifs sur certaines mesures de la spasticité mais pas toutes, et la plupart des effets positifs étant basés sur des mesures évaluées par les patients plutôt que par les cliniciens.

Nielsen et al 2019  dans leur revue systématique de 11 revues (32 études) sur les symptômes de la SP et les cannabinoïdes/cannabis, ont conclu que les revues ont identifié des preuves qui soutiendraient des essais de cannabinoïdes pour le traitement de la spasticité chez les patients atteints de SP.

Torres-Moreno et al 2018 ont examiné 17 essais cliniques randomisés afin d’évaluer l’efficacité et la tolérance des traitements à base de cannabinoïdes par rapport au placebo pour le traitement des symptômes (spasticité, douleur et dysfonctionnement vésical) chez les patients avec SP.

1°Les interventions expérimentales étudiées étaient les extraits de cannabis par voie orale ; l’extrait de cannabis par voie oromucosale/nabiximols ; le dronabinol (par voie orale) ; et le nabilone (par voie orale) évalué comme traitement d’appoint à la gabapentine (anticonvulsivant).

2°Les résultats concernant le symptôme de la douleur ont montré des différences statistiquement significatives en faveur des extraits de cannabis, du nabilone et du dronabinol.

3°Des différences statistiquement significatives ont été observées en faveur des extraits de cannabis et du dronabinol par rapport au placebo pour le dysfonctionnement de la vessie.

Néanmoins, la plupart des effets thérapeutiques rapportés pour ces deux symptômes étaient faibles.

Globalement, les études démontrent que les cannabinoïdes ont des propriétés thérapeutiques utiles pour le traitement de certains symptômes de la SP. Les traitements à base de cannabinoïdes, qu’ils soient d’origine végétale ou synthétique, semblent améliorer la perception qu’ont les patients des symptômes de spasticité, de douleur et de dysfonctionnement de la vessie. Cependant, cette efficacité perçue n’est pas clairement démontrée par des mesures objectives fondées sur des données cliniques. C’est à la fois un point négatif, car cela limite les preuves à l’appui des traitements à base de cannabinoïdes, et un indicateur intéressant, car les patients peuvent être plus sensibles à l’amélioration des symptômes que ce qui est mesurable par les cliniciens.

 LES ATTENTES DES PRATICIENS

Les praticiens doivent avoir des attentes réalistes quant à l’efficacité des cannabinoïdes, car les effets thérapeutiques peuvent être faibles. Il existe d’autres applications ou symptômes de la SP pour lesquels les cannabinoïdes pourraient être utiles (propriétés modificatrices de l’évolution de la maladie, fonction urinaire), mais les preuves à l’appui sont mitigées. La douleur neuropathique dans la SP en raison du manque de données probantes.

D’après notre plus récente analyse de base de données portant sur 1 275 patients entre juillet 2020 et mars 2021, 34 (2,7 %) patients avaient un diagnostic primaire de SP, et étaient âgés de 23 à 68 ans (moyenne de 49 ans). 25 d’entre eux (73,5 %) sont identifiés comme des femmes.

Parmi ces patients avec la SP, 70% sont pour obtenir un traitement à base de cannabinoïdes pour la douleur et 15% pour la spasticité. Les sont venus pour des troubles du sommeil, des maux de tête, des engourdissements dans les jambes et une rigidité musculaire. Tous les patients présentaient des symptômes secondaires, notamment des troubles du sommeil (19%), de la fatigue (18%), de l’anxiété (14%), de la spasticité (14%), de la dépression (10%), des migraines et des maux de tête (6%), du stress (4%), des problèmes liés à la nutrition (3%) et de la rigidité musculaire (3%). Cette présentation de symptômes multiples corrobore le large spectre de profils de la SP chez les individus et confirme que les patients cherchent à soulager plusieurs symptômes simultanément.

Diagnostic principal Symptôme primaire Symptôme Secondaire
 

 

 

 

SEP

3%engourdissement des jambes

3%     maux de tête

3%     rigidité musculaire

6%     troubles du sommeil

15%   spasticité

70%   douleurs

 

1% Tremblements

2% Crises de panique

2% Nausées

3% Troubles nutritionnels

4% Stress

5% Migraines /maux de tête

6% Autres

10% Dépression

14% Spasticité

14% Troubles anxieux

18% Fatigue

19% Trouble du sommeil

 

 En ce qui concerne les antécédents de consommation de cannabis, la plupart des patients n’étaient pas à leur premier essai de cannabis : 50 % avaient essayé le cannabis dans une tentative de se soigner eux-mêmes, 26,5 % l’avaient essayé de manière récréative et 14,7 % ne l’avaient jamais essayé.

Presque tous les patients ont reçu une autorisation pour un traitement incluant au moins un extrait d’huile ingéré. 65% des patients ont reçu une prescription pour une formulation équilibrée en CBD et THC – car si la littérature suggère d’utiliser le THC pour soulager certains symptômes de la SP, le CBD peut aider à contrebalancer certains des effets indésirables du THC.

 THC : CBD (bleu) Riche en CBD (orange) Riche en THC (gris)
          65%            3 %          32%

Conclusion

Bien que cela fasse des siècles que l’être humain consomme du cannabis, l’utilisation thérapeutique n’en est qu’à ses premiers balbutiements. Cela est dû en partie aux restrictions légales, qui sont aujourd’hui en voie d’assouplissement dans le monde entier. Du point de vue scientifique, l’avantage le mieux démontré du cannabis est la réduction de la spasticité et de la douleur chez les patients atteints de SEP.

  Il est souhaitable de pousser plus loin la recherche sur le cannabis thérapeutique, y compris ses effets potentiels à long terme (par exemple sur la cognition) et les effets du CBD en monothérapie. Par ailleurs, la présence de récepteurs CB2 dans notre système immunitaire soulève des questions intéressantes sur la capacité du cannabis à jouer un rôle plus fondamental dans l’évolution de la maladie par ce chemin.

Bibliographie

1° Multiple Sclerosis and Extract of Cannabis: Results of the MUSEC Trial – PubMed https://www.ncbi.nlm.nih.gov

2° Systematic review: Efficacy and safety of medical marijuana in selected neurologic disorders https://www.ncbi.nlm.nih.gov

3° Cannabinoids for Treatment of MS Symptoms: State of the Evidence – PubMed https://www.ncbi.nlm.nih.gov