décembre 8, 2025

LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS

REVUE DE PHILOSOPHIE DE LA PAIX

Orphelins de l’Arménie – Poème

Prof; Dr. Juan Yelanguezian

Orphelins de l’Arménie

Poème

I

Orphelins d’Adana, orphelins du

désert…

Seraient aujourd’hui citoyens sans nationalité connue

d’eux mêmes ?

ou des hommes vivant au déracinement

condamnés?

Orphelins des montagnes, musique des

ancêtres,

privilège du monde entrainant des

signes éphémères.

Un  génocide peut-il mettre fin à

 l’âme

Arménienne

Dans la cruauté des faits,

faits transformés en légendes par crainte

de la souffrance ?

Orphelins de nos vents, de nos pierres et de notre

ciel.

Nous nous noyons dans la brume bleutée des

souvenirs.

 

Orphelins de ton dialogue nous nous réveillons au

soleil

et chantons les hymnes au jour nouveau.

Mystère subtil de ne pas te posséder.

Vide qui nous aspire dans un espace

mystique,

l’absence de nos morts.

Dans l’obscurité nous n’entendons plus ses pas,

Ni l’appel de ses voix, ni la lueur naissante de ses yeux…

Nos orphelins âgés gardent en

silence

l’horreur de leurs prières,

d’autres les ont amenés en secret aux confins

des

ténèbres.

Nous nous enterrons dans la rencontre

sensible de

notre mutilation futur 

déchirement paradoxal, sacrifice de milliers,

vin ancestral de notre madagh incertain.

Lent sacrifice d’un peuple orphelin de son

sol

mutilé,

de son esprit mutilé, de son écho mutilé.

Orphelins de Sis, de Mush, de Van,

orphelins de Sasun, de Kars, d’Erzerum.

Entendez les voix, criez votre prière

comme le pèlerin s’approche de la rencontre.

(Je m’adhère à la pénombre du silence de

la vieille maison

que mon grand-père dressa de ses propres

mains,

mains mutilées, orphelins de Tarso.

Le murmure du silence m’accable.

Ce silence qui murmure des cris d’autres temps,

me fait-il  déployer vers la froideur et

l’embrasser

car il a pu créer avec son grain un nouveau

monde

derrière l’enfer).

II

Orphelins des mystères de nos

parents

de voir de loin grandir notre foyer natal.

Orphelins d’incertitudes et vitale

rencontre.

(Amour ; ni acte, ni parole).

Orphelins d’amour, quotidien de

déracinement

terrien,

fût-ce un sacrifice naturel

qui a mené notre peuple á prodiguer un

futur vital

en donnant leurs vies dans l’exil ?

Orphelins de Marash, la brise tend-elle

encore plus les

cordes

de ton violon et tes mélodies ne se noient-t-elles pas dans

la

litanie du mystère ?

(Il faudrait m’attacher et m’assourdir, au

mât le plus

haut

de ma vie, pour ne plus entendre et m’approcher

du sortilège de

tes chants).

Orphelins de Deir-es-Zor, elles me poursuivent ces

voix

comme rencontres partagées de douleur

et approchant comme contes

d’une histoire qu’on ne désire pas vivre.

Et approchent comme tranchants de sabres

détruisant des corps,

des sons de sabres seulement, comme jeu

arythmique de

massacre,

 dessinant des murmures métalliques dans

l’immensité

atmosphérique

du sordidement beau paysage.

Orphelins ! le vacarme n’a pas grondé

mais la mort noyée dans le silence,

comme un organe se pourrissant dans un corps

qui en apparence  continue de vivre.

Orphelins de bannissement,

familles désintégrées perdues dans

l’infortune,

enfants qui ne connurent le destin de leurs

frères,

femmes qui ne se sont pas données et se sont mariées

avec la

mort,

yeux de Massis qui ne savent pas qu’ils sont

arméniens.

Orphelins.

Mystère insondable de la vie

qui exige un tel sacrifice pour qu’un

peuple vive.

(Le paysan dont les

Évangiles ont été percés

 celles qu’il portait près du cœur et qui est

tombé dans le sillon qu’il a lui-même creusé.

La dague reluisante aiguisée qui

a assassiné la mère de l’ami.

La maison en feu, les fuites nocturnes,

l’incendie du port de Smyrne

seulement le vide du silence

dessus les crépusculaires corps

et uniquement le silence).

Orphelins nous nous éveillons et prions encore

dans notre prière intime,

 entonnant des hymnes remerciant la lumière de

l’aube

et nous déjeunons avec le travail et le

credo.

Nous entremêlons nos sangs

pour donner naissances à ce fils espéré

et nous lui donnons notre pudique affection,

nos mythes, nos prières.

non seulement nos lettres,

mais aussi nos berceuses berçant de vieux

rêves.

Notre joie est ancienne comme nos

vers.

Notre douleur est ancienne comme nos

chants.

Nous invoquons l’éclat de notre espace

ouvert.

Orphelins, Oui, de notre sol

Sommes-nous musiciens mystérieux de l’exile ?

Sommes-nous porteurs de notre esprit de

céréale

germant dans l’univers ?

Un épi d’espoir qui nous

soutient peut-être

sachant que les oiseaux viennent sans s’annoncer ?

           Buenos Aire, le 9 mars 1985.

                 Traduit par Carmen Chalamanch, Mexique

              Du cicle V « Madagh », du livre « Arian,

Antología Poética » de Juan R.S.

Yelanguezian.

Publié à Buenos Aires en 1994.

I.S.B.N.: Nº 950-43-5577-3