
Prof; Dr. Juan Yelanguezian
Orphelins de l’Arménie
Poème
I
Orphelins d’Adana, orphelins du
désert…
Seraient aujourd’hui citoyens sans nationalité connue
d’eux mêmes ?
ou des hommes vivant au déracinement
condamnés?
Orphelins des montagnes, musique des
ancêtres,
privilège du monde entrainant des
signes éphémères.
Un génocide peut-il mettre fin à
l’âme
Arménienne
Dans la cruauté des faits,
faits transformés en légendes par crainte
de la souffrance ?
Orphelins de nos vents, de nos pierres et de notre
ciel.
Nous nous noyons dans la brume bleutée des
souvenirs.
Orphelins de ton dialogue nous nous réveillons au
soleil
et chantons les hymnes au jour nouveau.
Mystère subtil de ne pas te posséder.
Vide qui nous aspire dans un espace
mystique,
l’absence de nos morts.
Dans l’obscurité nous n’entendons plus ses pas,
Ni l’appel de ses voix, ni la lueur naissante de ses yeux…
Nos orphelins âgés gardent en
silence
l’horreur de leurs prières,
d’autres les ont amenés en secret aux confins
des
ténèbres.
Nous nous enterrons dans la rencontre
sensible de
notre mutilation futur
déchirement paradoxal, sacrifice de milliers,
vin ancestral de notre madagh incertain.
Lent sacrifice d’un peuple orphelin de son
sol
mutilé,
de son esprit mutilé, de son écho mutilé.
Orphelins de Sis, de Mush, de Van,
orphelins de Sasun, de Kars, d’Erzerum.
Entendez les voix, criez votre prière
comme le pèlerin s’approche de la rencontre.
(Je m’adhère à la pénombre du silence de
la vieille maison
que mon grand-père dressa de ses propres
mains,
mains mutilées, orphelins de Tarso.
Le murmure du silence m’accable.
Ce silence qui murmure des cris d’autres temps,
me fait-il déployer vers la froideur et
l’embrasser
car il a pu créer avec son grain un nouveau
monde
derrière l’enfer).
II
Orphelins des mystères de nos
parents
de voir de loin grandir notre foyer natal.
Orphelins d’incertitudes et vitale
rencontre.
(Amour ; ni acte, ni parole).
Orphelins d’amour, quotidien de
déracinement
terrien,
fût-ce un sacrifice naturel
qui a mené notre peuple á prodiguer un
futur vital
en donnant leurs vies dans l’exil ?
Orphelins de Marash, la brise tend-elle
encore plus les
cordes
de ton violon et tes mélodies ne se noient-t-elles pas dans
la
litanie du mystère ?
(Il faudrait m’attacher et m’assourdir, au
mât le plus
haut
de ma vie, pour ne plus entendre et m’approcher
du sortilège de
tes chants).
Orphelins de Deir-es-Zor, elles me poursuivent ces
voix
comme rencontres partagées de douleur
et approchant comme contes
d’une histoire qu’on ne désire pas vivre.
Et approchent comme tranchants de sabres
détruisant des corps,
des sons de sabres seulement, comme jeu
arythmique de
massacre,
dessinant des murmures métalliques dans
l’immensité
atmosphérique
du sordidement beau paysage.
Orphelins ! le vacarme n’a pas grondé
mais la mort noyée dans le silence,
comme un organe se pourrissant dans un corps
qui en apparence continue de vivre.
Orphelins de bannissement,
familles désintégrées perdues dans
l’infortune,
enfants qui ne connurent le destin de leurs
frères,
femmes qui ne se sont pas données et se sont mariées
avec la
mort,
yeux de Massis qui ne savent pas qu’ils sont
arméniens.
Orphelins.
Mystère insondable de la vie
qui exige un tel sacrifice pour qu’un
peuple vive.
(Le paysan dont les
Évangiles ont été percés
celles qu’il portait près du cœur et qui est
tombé dans le sillon qu’il a lui-même creusé.
La dague reluisante aiguisée qui
a assassiné la mère de l’ami.
La maison en feu, les fuites nocturnes,
l’incendie du port de Smyrne
seulement le vide du silence
dessus les crépusculaires corps
et uniquement le silence).
Orphelins nous nous éveillons et prions encore
dans notre prière intime,
entonnant des hymnes remerciant la lumière de
l’aube
et nous déjeunons avec le travail et le
credo.
Nous entremêlons nos sangs
pour donner naissances à ce fils espéré
et nous lui donnons notre pudique affection,
nos mythes, nos prières.
non seulement nos lettres,
mais aussi nos berceuses berçant de vieux
rêves.
Notre joie est ancienne comme nos
vers.
Notre douleur est ancienne comme nos
chants.
Nous invoquons l’éclat de notre espace
ouvert.
Orphelins, Oui, de notre sol
Sommes-nous musiciens mystérieux de l’exile ?
Sommes-nous porteurs de notre esprit de
céréale
germant dans l’univers ?
Un épi d’espoir qui nous
soutient peut-être
sachant que les oiseaux viennent sans s’annoncer ?
Buenos Aire, le 9 mars 1985.
Traduit par Carmen Chalamanch, Mexique
Du cicle V « Madagh », du livre « Arian,
Antología Poética » de Juan R.S.
Yelanguezian.
Publié à Buenos Aires en 1994.
I.S.B.N.: Nº 950-43-5577-3
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